Les directeurs de la Sécurité Sociale et de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse sont à Mayotte pour expliquer les changements qui vont se mettre en place dans les prochains mois. Au-delà de la Déclaration Sociale Nominative (DSN), les changements vont être visibles pour les assurés sociaux, signe d’une convergence qui se met en place progressivement. Il reste tout de même au gouvernement à organiser la convergence des droits ayant des conséquences sur les taux de cotisation, cette partie-là n’est pas encore gagnée… Franck Von Lennep, le directeur de la Sécurité Sociale, explique les points saillants de l’ordonnance.
France Mayotte Matin : Quels sont les grands changements pour les assurés sociaux induits par cette ordonnance ?
France Von Lennep : Plusieurs mesures amélioreront substantiellement les droits des assureś des̀ 2022. La mesure-phare de cette ordonnance est sans doute l’extension à Mayotte de l’indemnisation par la sécurité sociale du congé paternité et d’accueil de l’enfant pour les salariés, les travailleurs indépendants et les conjoints collaborateurs. Ainsi, à compter du 1er juillet 2022, les pères pourront bénéficier d’une indemnisation du congé pour la même durée maximale de 28 jours qu’en métropole et dans les autres DROM.
Mais l’ordonnance prévoit aussi la mise en place d’ici la fin de 2022 de trois allocations destinées à permettre de s’occuper de proches : l’allocation journalière de présence parentale, qui indemnise le congé de présence parentale qui permet à un parent en activité de s’occuper de son enfant gravement malade, accidenté ou handicapé, l’allocation journalière de proche aidant, qui indemnise le congé de proche aidant qui permet de s’occuper d’un proche en situation de handicap ou de perte d’autonomie, et enfin l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie. En juillet 2022, c’est également le complément de mode de garde «structures» qui entrera en vigueur : il permettra d’aider financièrement les familles qui confient leur enfant de moins de six ans à certains modes de garde formel : crèche familiale, micro-crèche et prestataire de garde d’enfants à domicile. Le complément de mode de garde «emploi direct», qui permet d’aider les familles à faire garder leur enfant de moins de 6 ans par un assistant maternel agréé ou une garde à domicile en emploi direct, sera quant à lui étendu d’ici fin 2023. Cette extension permet de compléter l’offre d’accueil déjà offerte par les crèches collectives financées par la caisse de sécurité sociale dans le cadre de son action sociale.
Par ailleurs, les assurés demandant la liquidation de leur pension de retraite à compter du 1er janvier 2022 pourront, sous certaines conditions, bénéficier de trimestres de retraite supplémentaires, permettant d’améliorer leurs droits à pension de retraite. C’est également la branche autonomie, 5ème branche de la sécurité sociale, qui est étendue à Mayotte en même temps qu’en métropole et dans les autres DROM.
Mais l’ordonnance contient aussi de nombreuses mesures d’harmonisation des règles locales sur le droit commun qui élargissent les assurés éligibles aux prestations mises en place et octroient de nouveaux droits, améliorant ainsi la couverture sociale de la population mahoraise.
Les professionnels de santé bénéficieront également de la garantie du tiers payant par la CSSM, comme leurs collègues de métropole et des DROM.
FMM : Sur le front des retraites, l’ordonnance précise que les retraités ayant cotisé entre 1987 et 2002 partant en retraite à partir de janvier 2022 auront une retraite complète, cela veut dire quoi ? La pension sera alignée sur les taux métropolitains ?
FVL : L’ordonnance a pour objectif d’améliorer le niveau des pensions de retraite des futurs pensionnés mahorais, dont les niveaux sont faibles sous l’effet de plusieurs facteurs : la jeunesse du régime créé en 1987, la faible durée d’assurance cotisée (9 ans en moyenne), la faiblesse des rémunéra- tions cotisées, mais aussi la disparition des archives de la Caisse de Sécurité Sociale de Mayotte en 1993, suite à un incendie, qui compromet la reconstitution des carrières antérieures à cette date. Les modalités de calcul des pensions à Mayotte atténuent déjà les effets liés au caractère récent du régime et aux carrières incomplètes. Mais il a été jugé nécessaire d’aller plus loin. L’ordonnance met en place un dispositif exceptionnel de valida- tion gratuite de périodes d’assurance vieillesse pour les personnes affiliées à la Caisse de Sécurité Sociale de Mayotte (CSSM) et ayant exercé une activité salariée pendant une durée minimale entre 1987 et 2002. Il permet d’attribuer des trimestres supplémentaires de retraite aux assurés concernés, sous réserve qu’ils aient validé une durée minimale d’assurance entre 2003 et la liquidation de leur pension, et ainsi de faciliter le départ à la retraite à taux plein. Le nombre de trimestres attribués sera proportionnel à la durée validée entre 2003 et la liquidation de la pension.
En revanche, les retraites conservent leur caractère contributif. La pension de retraite dépend de la durée d’assurance cotisée et des salaires cotisés, qui est donc variable selon les assurés. La mesure, en elle-même très dérogatoire par rapport au droit commun, ne peut avoir pour effet d’assurer une pension « complète » pour tous les assurés mais elle jouera à plein pour ceux qui ont validé par leur activité salariée le plus de trimestres dans le régime à compter de 2003. Les modalités d’application de cette mesure seront précisées par un décret prochainement publié.
FMM : Que se passe-t-il pour les futurs retraités en 2023 et au-delà ?
FVL : La mesure concerne bien toutes les personnes qui prendront leur retraite à compter du 1er janvier 2022, donc également les années suivantes. Il n’y a pas de limite dans le temps de la mesure, si ce n’est qu’elle ne peut concerner que les personnes qui avaient au moins 16 ans et donc qui étaient en âge de travailler au cours de la période entre 1987 et 2002. C’est la CSSM qui se chargera, avec l’appui du national, de calculer les trimestres validés gratuitement.
FMM : L’extension de Pajemploi va-t- elle permettre à plus de femmes d’accéder au marché du travail ?
FVL : PAJEMPLOI, dispositif simplifié de déclaration et de recouvrement de cotisations et de contributions sociales destiné aux particuliers qui emploient des salariés exerçant une activité de garde d’enfants va indéniablement favoriser les démarches d’embauche et de déclaration des gardes d’enfants. Mais c’est avant tout le complément de libre choix du mode de garde «emploi direct», qui sera versé par PAJEMPLOI, qui permettra d’aider financièrement les familles à recourir à un assistant maternel agréé ou une garde d’enfant à domicile et facilitera la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle et donc l’accès au marché du travail des femmes.
FMM : Le complément financier proposée aux proches s’occupant d’une personne dépendante va bénéficier à combien de cotisants ?
FVL : Il est difficile de dire combien de personnes vont demander l’allocation journalière du proche aidant (AJPA). C’est une allocation très récente, mise en place dans le régime général depuis le 30 septembre 2020, et dont le recours devrait s’accroître peu à peu. A Mayotte, où il n’y a pas pour l’instant d’EHPAD, ce dispositif permettra de répondre à un besoin.
Cette allocation journalière permet d’indemniser le congé de proche aidant. En tant que revenu de remplacement, elle s’adresse au proche aidant d’une personne en situation de handicap ou de perte d’autonomie d’une certaine gravité (ayant un taux d’incapacité supérieur ou égale à 80% ou bénéficiaires de l’APA), qu’il soit salarié, fonctionnaire, travailleur indépendant réduisant ou interrompant son activité ou chômeur indemnisé suspendant sa recherche d’emploi pour accompagner un proche.
FMM : Cette ordonnance bénéficie très majoritairement qu’aux cotisants, c’est un choix politique que de faire bénéficier de la convergence des droits en priorité à ceux qui cotisent ?
FVL : Sauf en matière de retraite, les mesures prévues par l’ordonnance ne sont pas dictées par la volonté de favoriser les assurés en activité professionnelle par rapport aux autres assurés. Elles ont pour objectif de faire bénéficier les bénéficiaires de Mayotte de dispositifs parfois très récemment créés en métropole et dans les autres DROM, et d’harmoniser les législations de sécurité sociale, poursuivant ainsi le chemin de convergence vers le droit commun. Toutefois, la plupart des allocations ren- dues applicables à Mayotte visent effectivement à accorder un revenu de remplacement aux personnes qui arrêtent leur activité professionnelle (ou sont chômeurs en maintien de droits) pour s’occuper d’un proche ou, pour le congé paternité, d’un enfant. Concernant l’extension du congé paternité et d’accueil de l’enfant à Mayotte, il s’agit surtout de favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes et de faciliter la création d’un lien d’attachement entre les parents et les nouveau-nés ou les enfants adoptés. Toutefois, l’ordonnance contient aussi des mesures d’harmonisation des règles locales sur le droit commun qui bénéficient à des personnes qui ne sont pas en activité ; ainsi, désormais, les chômeurs indemnisés et non indemnisés seront éligibles au dispositif du maintien de droits aux prestations en espèces, ce qui permettra à ces assurés de continuer à percevoir des indemnités journalières en cas d’arrêt maladie, ou de congé maternité ou paternité, même s’ils ont perdu leur emploi. Concernant les retraites, le dispositif de validation de périodes d’assurance vieillesse mis en place vise clairement à favoriser les assurés qui cotisent au titre de leur activité car le financement des retraites repose sur les cotisations. Plus largement, c’est l’ensemble des prestations de sécurité sociale qui est financé en grande partie par les cotisations et contributions sociales.
Propos recueillis par Anne Constance Onghéna
Article paru dans France Mayotte matin du Mardi 7 décembre 2021