novembre 24, 2024

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Interview exclusive de Sébastien Lecornu pour les 10 ans de la départementalisation de Mayotte

Mayotte est ce morceau de France a 10 000 kilomètres de Paris qui rêve de toujours plus d’intégration, Mayotte est ce 101ème département français qui n’a que 10 ans quand ses 100 voisins ont presque tous 200 ans. Pourtant en ce jour d’anniversaire, les avis de la population sont mitigés, elle est heureuse de son statut mais dubitative quant aux conditions de vie qu’elle rêvait meilleures. Le Ministre des Outre-Mer Sébastien Lecornu revient pour France Mayotte Matin sur ce long voyage entamé qui n’est encore qu’à son commencement.

FMM : 31 mars 2011- 31 mars 2021, le département a 10 ans : votre sentiment aujourd’hui quand vous pensez aux mahorais ?

Sébastien Lecornu : A l’occasion des 10 ans de la départementalisation de Mayotte, il faut d’abord saluer l’attachement des Mahoraises et des Mahorais à la France. A plusieurs reprises, au cours de l’Histoire, ils ont fait le choix de la République, et je tiens à le saluer. La France est fière de compter Mayotte parmi ses territoires d’Outre-mer, et Mayotte est fière d’être française. Ceci dit, je tiens à rétablir une idée reçue : Mayotte est aujourd’hui plus développée qu’il y a 10 ans. Depuis 10 ans, entre autres, grâce à la départementalisation, de nombreux chantiers ont été mis en œuvre sur le terrain au bénéfice de nos concitoyens. L’État a massivement investi dans le développement d’écoles, de logements, d’infrastructures routières ou d’équipements du quotidien.

FMM : C’est une fierté pour la France d’avoir intégré un nouveau département il y a 10 ans et pourquoi ?

SL : Le choix de Mayotte de devenir un département confirme son appartenance pleine et entière à la République. C’est un message adressé à ceux qui considèrent que Mayotte n’appartient pas à la France. Plus qu’un territoire français, c’est aussi un département français. Comme l’Eure en Normandie peut être un département français. Avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Par ailleurs, Mayotte est pour la France un point de stabilité dans l’Océan Indien. C’est un élément-clé de notre présence stratégique sur l’axe indo-pacifique.

FMM : Pour le Ministre des Outre-Mer que vous êtes quand vous regardez ces 10 années, de quoi êtes-vous fier pour Mayotte et pour la France ?

SL : Je suis surtout fier du mouvement de convergence entamé depuis 10 ans : mise en place du code du travail, préfiguration d’un conseil des prud’hommes, convergence progressive des droits sociaux. Le RSA est en hausse constante depuis 2014. Mais, on ne naît pas département, on le devient. Je suis conscient du chemin qui reste à parcourir, mais la dynamique est là.

« Sans maîtrise des frontières, le développement de Mayotte est entravé »

Sébastien Lecornu

FMM : Mayotte est rongé par les problèmes d’insécurité et d’immigration clandestine, les habitants sont désabusés souvent, vous les comprenez ?

SL : Bien sûr que je le comprends. Pour y répondre, l’État est au rendez-vous. Pour lutter contre l’immigration clandestine, nous avons lancé en 2019 l’opération Shikandra. Depuis, ses moyens ont été renforcés avec désormais 3 intercepteurs qui patrouillent 24h/24 et 7j/7 autour du département. Mayotte dispose de moyens aujourd’hui face à la pression migratoire. En 2019, 27 400 reconduites, soit un quasi-doublement par rapport à 2018, ont eu lieu inversant les flux migratoires. Cela représente 50 % des reconduites en France. Je suis conscient que sans maîtrise des frontières, le développement de Mayotte est entravé.

C’est pour cela que l’Etat met tout en œuvre pour lutter contre le fléau de l’immigration clandestine. Depuis le début de l’année 2021, plus de 6 500 étrangers en situation irrégulière ont été éloignés vers l’Union des Comores, ce qui correspond à un rythme annuel de 31 000 reconduites. Enfin, en termes de maintien de l’ordre public, les effectifs des forces de sécurité intérieure ont augmenté de plus de 60 % au cours des cinq dernières années. Après tout n’est pas qu’une question d’effectifs mais de droit : il faut continuer à rendre Mayotte moins attractif pour les étrangers pour stopper ce flux continu.

FMM : Pourquoi l’Etat n’a pas mis les moyens sur la table pour effectuer le rattrapage tant attendu ?

SL : Je ne peux pas laisser dire cela. Entre 2011 et 2021, les crédits mobilisés par l’Etat pour Mayotte sont ainsi passés de 574 millions d’euros à près de 1,4 milliards ! Nous investissons massivement dans le développement du territoire : l’amélioration de l’offre de soins, par exemple, avec 65 millions d’euros planifiés sur 10 ans, qui seront notamment consacrés à la construction d’un second hôpital. L’approvisionnement en eau aussi avec 11 millions d’euros dans le cadre du plan France Relance. Enfin, sur l’éducation, l’État mobilise des moyens financiers considérables et exceptionnels en comparaison aux autres départements français.

Dire que l’État n’a pas mis les moyens sur la table n’est pas juste. Il faut que chacun sorte des postures politiciennes, et que nous, Gouvernement comme parlementaires ou élus locaux, travaillons main dans la main pour le bien des Mahoraises et des Mahorais. Le ministère des Outre-mer va annoncer cette semaine un soutien de 7,7 millions d’euros à des projets locaux qui participent au développement social, environnemental et économique du territoire. Ce sont 14 projets qui vont changer la vie quotidienne des Mahoraises et des Mahorais. Au final, il n’y a qu’une seule République.

« Une différenciation s’impose à Mayotte »

Sébastien Lecornu

FMM : Pour vous les 10 prochaines années à Mayotte vont ressembler à quoi ? Vous souhaitez quoi pour les mahorais aujourd’hui ?

SL : Pendant ces 10 dernières années, nous avons posé les bases de la départementalisation et mis en œuvre de nombreux chantiers qui ont très concrètement changé les choses pour nombre de nos concitoyens. Je souhaite que ces 10 prochaines années permettent de donner un coup d’accélérateur au développement de Mayotte. Développement économique d’abord, avec une croissance qui doit être retrouvée.

L’économie mahoraise a connu un boom exceptionnel en 2018 et 2019, créant en deux ans 4 000 emplois soit autant qu’au cours des huit années précédentes (2009-2017). Mais aussi un coup d’accélérateur à la convergence de Mayotte avec les autres départements français. Pour cela, je suis prêt à travailler avec les élus à des propositions concrètes pour avancer l’échéance de 2036. Je n’ai pas pu revenir sur place depuis ma nomination en raison des contraintes sanitaires, mais pas un jour ne passe sans que je ne sois en contact avec les forces vives de Mayotte et travaille avec eux sur l’amélioration de la situation sur le terrain. C’est le sens de la visioconférence que j’aurais avec les maires cet après-midi.

FMM : Peut-on encore croire au rêve de départementalisation qui prévalait en 2011 ? et comment y croire ?

SL : Mayotte est un département français à part entière. Mais il doit être un département du 21eme siècle : alors que le débat sur la différenciation est ouvert partout en France, n’ayons pas peur de nous poser aussi cette question pour Mayotte. Sa position géographique au cœur de l’océan indien le justifie. Rien que sur le régalien, une différenciation s’impose. Nous nous devons d’investir plus de moyens sur ce champ à Mayotte qu’ailleurs.

Propos recueillis par Anne Constance Onghéna.

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