Le Président Valéry Giscard D’Estaing s’est éteint. Son parcours politique est exceptionnel à la hauteur de l’homme brillant qu’il était. A l’origine de réformes profondes pour notre pays, il a aussi joué un rôle déterminant dans l’évolution institutionnelle de Mayotte. Si la lecture des faits historiques diverge un peu d’un courant politique à l’autre, tous les responsables politiques mahorais qui ont eu à vivre cette époque s’accordent à dire que sans Giscard, le destin de Mayotte n’aurait pas été le même.
Au moment où il est élu, la décolonisation de la France est en marche, les pays d’Afrique ont réussi à obtenir cette indépendance à laquelle ils aspiraient. Les Comores ont le même souhait. Selon le Président Douchina, le Président du Gouvernement des Comores Ahmed Abdallah faisait savoir à Paris que les îles de l’archipel voulaient cette indépendance, pendant que Marcel Henry, Younoussa Bamana, Zoubert Adinani, députés de Mayotte qui siégeait à l’Assemblée territoriale des Comores expliquaient que Mayotte voulait rester française
Mayotte veut rester française
Daniel Zaidani rappelle que dans l’histoire de la zone à aucun moment, il n’y a eu une organisation politique réunissant les 4 îles de l’archipel des Comores. « Mayotte était française 50 ans avant que la dernière ile des Comores ne le devienne ». Mayotte a été vendue par Madagascar à la France en 1841. Les autres îles ne deviendront françaises que plus tard, à la faveur de la nécessité de régler les difficultés économiques pour les colons planteurs qui subissaient les plaies guerrières des sultans batailleurs. Lorsque les 3 autres îles de l’archipel rejoignent le protectorat de Madagascar, Mayotte y est en paix depuis plusieurs années.
Dans les années 70, la décolonisation s’accélère, Le Président Douchina raconte que « la question de l’avenir des 4 îles de Comores se pose de manière insistante à cette période, Pierre Mesmer, Premier Ministre, en 1972 déclare à Dzaoudzi à l’occasion d’un déplacement officiel « Vous êtes français depuis 150 ans et vous le demeurerez autant que vous le voulez » les mahorais lui avaient exprimé sans cesse leur inquiétude par rapport à l’indépendance en préparation. »
D’incertitudes en incertitudes sur l’avenir…
C’est donc une période d’incertitude et de combat politique pour les représentants de Mayotte dans un contexte où les communications ne sont pas simples, acheminer un courrier vers la métropole est un sacerdoce, il fallait le plus souvent passer par Madagascar. Le Président Douchina en témoigne en expliquant que « Mayotte dispose alors d’un émissaire qui a beaucoup œuvré pour faciliter la transmission des correspondances, il s’agit de Maoulida Mroivili dit Magochichora. »
D’un responsable à l’autre, les positions politiques sont différentes, d’un Alain Poher pour lequel les Outre-Mer son très importantes pour la France, le choix des mahorais exprimé de rester française est central. Pour d’autres, la décolonisation doit se faire et les territoires doivent (re)prendre leur indépendance. C’est donc une période complexe sur le plan national et tendu sur le plan local, les chatouilleuses émergent, les affrontements entre les mahorais et les comoriens sont nombreux. Younoussa Bamana, alors député de Mayotte à l’Assemblée territoriale comorienne est inculpé de violences lors d’une manifestation à Poroani contre la venue du Président Ahmed Abdallah. A cette période, toute l’administration est centralisée à Moroni, les lycéens mahorais vont au lycée à Moroni, tous les responsables politiques de cette époque ont été formés à Moroni, de Attoumani Ahmed Douchina en passant par Saïd Omar Oili ou encore Younoussa Bamana.
Un peu rassuré par le discours de Pierre Mesmer, les mahorais militent pour faire entendre leur voix dans le contexte de la décolonisation des Comores. C’est alors que le Président de l’époque Pompidou décède le 2 avril 1974, une élection présidentielle inédite, une campagne éclair et Valery Giscard d‘Estaing devient Président. Il est centriste et très jeune. Il a une vision des choses très différentes de ses prédécesseurs et des autres responsables politiques car il porte cette idéologie centriste. Daniel Martial Henry explique « les principes de cette idéologie qui pose des bases d’un attachement fort aux origines et aux choix des peuples. Giscard a d’ailleurs en France été l’architecte de la décentralisation pour permettre aux territoires de prendre des décisions les
concernant. VGE est donc par idéologie plutôt réceptif au choix d’un peuple qui a envie de rester français, considérer le destin de 4 îles dans un seul chemin ne lui est pas naturel par idéologie ». Ce terreau favorable est enrichi par la Marine Nationale française qui ne veut pas perdre la position stratégique française dans l’Océan Indien dans un contexte post-colonial et de recomposition des pouvoirs économiques en Afrique. Beaucoup d’éléments plaident donc en faveur du souhait des mahorais.
Le décompte des voix se fera par île
Parmi les conseillers et proches de Giscard figure un certain Henri Jean-Baptiste, il est le Monsieur Afrique du Président, il travaille à la décolonisation des Comores.Un référendum se prépare pour acter cette indépendance, il aura lieu en 1974. Comment faire alors pour permettre aux Comores d’être indépendantes et à Mayotte de rester française ?
Daniel-Martial Henry explique que « les instigateurs du Référendum, Pierre Mesmer en tête puisqu’il était premier ministre jusqu’en mai 1974 avec Alain Poher comme Président pendant la transition entre le décès de Pompidou et l’élection de Giscard, vont s’appuyer sur une loi de 1962 qui « crée l’autonomie interne des peuples des Comores ».
C’est cet article qui va permettre ce décompte des voix par île ». Giscard est élu, il faut convaincre des principes du référendum ; Alain Poher président du sénat est à la manœuvre, le sénateur Marcel Henry représente Mayotte au Palais du Luxembourg, les sénateurs vont réussir à obtenir cette spécificité. Le référendum a lieu le 23 décembre 1974, 96% des voix en faveur de l’indépendance sur l’ensemble des 4 îles mais à Mayotte on vote majoritairement pour refuser cette indépendance. Le contexte géopolitique particulier (choc pétrolier), les aspirations répétées de Mayotte, l’idéologie centriste vont ainsi conduire au second référendum du 8 décembre 1976 qui séparera Mayotte des Comores. Les 3 îles d’Anjouan, Mohéli et la Grande Comore accèderont à l’indépendance tant réclamée, Mayotte restera française comme elle le souhaitait. La marche arrière est cassée.
L’idéologie centriste continuera à forger le destin de Mayotte, c’est Giscard qui organisera l’administration mahoraise : le Conseil Général est créé en 1976, le premier préfet est nommé par Giscard, les services administratifs se mettent en place à Mayotte. Avant cette date, tout était centralisé à Moroni.
Le combat pour la départementalisation peut commencer
Les responsables politiques de l’époque vont naturellement se rassembler dans le MPM (Mouvement Pour Mayotte) parti centriste par cœur puis par conviction. Les responsables politiques qui seront élus au plan national adhéreront naturellement à l’UDF le parti de Giscard. Daniel zaidani explique à cet effet : « Nous sommes au MDM les héritiers de Giscard ».
1981 arrive et rappelle que rien n’est encore joué, François Mitterrand est élu Président de la République à la faveur de la trahison de Jacques Chirac face à Giscard. Cette période pour Mayotte n’est pas la meilleure pour son combat pour la départementalisation. Le Président Douchina explique « qu’en 1978 le programme commun de la gauche montre très clairement la pensée politique des socialistes vis-à-vis des outre-mer qu’ils considèrent comme chers, ils souhaitent que la France se débarrasse des outre-mer et soldent la page de la décolonisation ». Daniel-Martial Henry complète et explique que « dans les familles régnaient une grande inquiétude, il se disait que la France allait partir de Mayotte à cause de l’élection de Mitterrand ». Mayotte se cherche d’autres alliés… mais le cœur reste au centre et à droite, le combat se poursuit jusqu’à Nicolas Sarkozy ….
Et si Giscard avait eu un second mandat ?
Reste à savoir maintenant si le destin de la France et de Mayotte aurait été différent si Giscard avait obtenu un second mandat ? Nombreux sont ceux à affirmer que Giscard a transfiguré la France : IVG, majorité à 18 ans, nucléaire, décentralisation… Sa mésentente avec Chirac et la perte des voix du RPR à la présidentielle de 1981 lui auront couté un second mandat. Le libéralisme de Giscard dans un contexte économique inédit depuis l’après-guerre suite aux deux chocs pétroliers a permis à Chirac de faire entendre une voix dissonante, il prône une politique plus sociale… La majorité est divisée, le contexte n’est pas favorable, la gauche l’emporte contre toute attente.
Le décès du Président Giscard d’Estaing permet de rappeler à quelques mois des 10 ans de l’accession de Mayotte au statut de département, que le choix de Mayotte de rester française était le combat de toute une génération, un clin d’œil, une invitation à méditer sur cette page de notre histoire au moment où le Ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu invite Mayotte à faire un premier bilan de cette départementalisation.