novembre 23, 2024

Top pub
Top pub

Dominique Voynet : « Nous avons été sollicités par les Comores »

Dominique Voynet, directrice de l’ARS, évoque avec nous la crise sanitaire aux Comores. Mais aussi le début de la campagne de vaccination et les variants.

Ce début d’année 2021 n’est pas de tout repos pour l’Agence Régionale de Santé. Entre la crise sanitaire aux Comores, le début de la campagne de vaccination et la menace des nouveaux variants, Dominique Voynet et ses équipes doivent agir vite et bien. Le tout dans un contexte où les incertitudes restent nombreuses. La directrice de l’ARS a accepté de faire le point sur les sujets brulants du moment. Interview.

France Mayotte Matin: Quel regard portez-vous sur la situation sanitaire aux Comores et plus particulièrement à Moheli ?

Dominique Voynet : D’abord il faut rester prudent car il y a plus de choses qu’on ne sait pas, que de choses qu’on sait. L’une des seules certitudes, c’est que la situation se dégrade sur place avec beaucoup de cas et des décès. Pour le reste, notamment les chiffres, nous voyons beaucoup de choses circuler mais il est difficile de déceler le vrai du faux. Autre certitude, il y a une semaine nous avons été sollicités par la gouvernement comorien.

« Notre avion sanitaire doit décoller pour Moroni »

FMM: Justement, comment l’ARS Mayotte peut-elle venir en aide aux habitants de Moheli ?

DV : Depuis le 5 janvier, je négocie avec les autorités comoriennes pour que nous apportions notre aide. Le gouvernement comorien, par le biais de l’ambassade de France, nous a d’abord sollicités pour un don de 1000 tests antigéniques. Nous avons proposé d’en fournir entre 3000 et 5000. J’ai également proposé des masques FFP2 ou encore des blouses. Nous avons obtenu le feu vert du gouvernement comorien. Notre avion sanitaire doit décoller aujourd’hui pour Moroni. Nous avons également proposé des renforts en personnels. Non pas pour soigner car nous ne pouvons pas nous le permettre mais pour faire des prélèvements.

Le gouvernement Comorien a finalement privilégié le travail avec l’OMS qui a envoyé quelques médecins et infirmiers. Ce qui se comprend. Si les Comores ont besoin d’aide supplémentaire, l’État lancera une alerte sanitaire internationale. Le ministère français des affaires étrangères sera sollicité. Si des gros moyens doivent être envoyés, ils le seront depuis la métropole. Pour du matériel et des tests Mayotte peut aider, mais pour davantage ce ne sont pas nos petits moyens qui pourront suffire.

« Nous n’allons pas empêcher les gens de rentrer chez eux »

FMM: Le variant sud-africain du virus serait à l’origine de cette explosion des cas. Sommes nous en capacité de le détecter à Mayotte?

DV : Les équipes de l’OMS à Mohéli ont envoyé plusieurs prélèvements dans un laboratoire au Kenya capable de pratiquer du séquencage. Les résultats ne sont pas encore connus. À Mayotte, nous avons décidé de procéder à des tests aléatoires sur des voyageurs en provenance des Comores. Les tests étant parfois réalisés plusieurs jours avant le vol, nous avons trouvé quelques cas positifs chez des voyageurs. Ces prélèvements ont été mis de côté. Nous avons fait la même chose avec des tests émanant de personnes arrêtées en mer dans des kwassas mais aussi avec des tests sur de personnes testées positives à Mayotte et sans lien évident avec les Comores.

Tous ces échantillons ont été envoyés à l’institut pasteur à Paris. C’est le seul centre en France, avec le centre national de référence à Lyon, en mesure de pratiquer du séquençage permettant de détecter le variant sud-africain. Pour le variant britannique, certains laboratoires ont créé des outils qui permettent de le détecter plus facilement. Ce n’est pas encore le cas avec le variant sud-africain. Nous attendons les résultats de ces deux colis d’échantillons dans les prochains jours, voire les prochaines heures. Un troisième colis est en préparation.

FMM: Serait-il plus prudent de stopper les liaisons maritimes et aériennes entre Mayotte et les Comores?

DV : Notre travail en ce moment c’est d’aller à la pêche aux infos auprès du ministère de la santé et du ministère de l’intérieur. Nous avons eu une réunion de crise jeudi soir à l’issue de laquelle il a été décidé d’envoyer ces deux colis de tests pour pratiquer le séquençage et y voir plus clair. 24h plus tard, nous avons reçu un appel pour nous annoncer que le test allait devenir obligatoire pour les voyageurs au départ de Mayotte.

On nous parlait de fermeture des frontières avec les Comores. Nous avons suggéré de ne pas bloquer les gens comme ce fut le cas en mars dernier. Avec les motifs impérieux, la plupart des citoyens de Mayotte sont partis aux Comores pour les vacances. Nous n’allons pas empêcher des gens de renter chez eux, de reprendre leur travail, d’envoyer leurs enfants à l’école. Nous allons en revanche réaliser des tests systématiques à l’arrivée et prescrire un isolement strict pendant une semaine.

Dominique Voynet est optimiste

FMM: Comment l’ARS se prépare-t-elle à la découverte éventuelle de ce variant ? Avec les conséquences que cela pourrait avoir sur la situation sanitaire ?

DV : Le variant, soit il circule, soit il ne circule pas. Pour l’heure on ne peut présager de rien mais le système de santé est prêt. Nous avons un « plan rebond » à l’hôpital pour accueillir plus de patients si nécessaire. A la surprise générale, pour l’instant, nous avons beaucoup de cas à Mayotte mais peu d’hospitalisations et plus aucune personne en service de réanimation. On sait que le variant sud-africain est plus contagieux mais aucune donnée ne confirme qu’il entraîne des cas plus graves. Cette hypothèse n’est pas confirmée. Donc nous n’aurons pas forcément plus de patients hospitalisés. Néanmoins, j’ai demandé de l’aide à la réserve sanitaire pour étoffer les équipes de l’ARS. La directrice de l’hôpital m’assurait encore hier que les équipes du CHM sont quant à elles suffisantes pour faire face à un éventuel rebond.

FMM: En ce qui concerne les vaccins, sont-ils arrivés ? Si oui, de combien en disposons nous et s’agit-il des vaccins Pfizer-BioNTech ou Moderna?

DV : Le 20 ou le 21 janvier, un vol militaire doit amener les premiers vaccins Pfizer ainsi que le congélateur spécial à -80 degrés. Ce délai pourrait être bénéfique car on nous a fait remarquer que nous ne savions toujours pas si ce vaccin est efficace contre les variants. Nous espérons également recevoir des vaccins Moderna même si nous ne possédons pas non plus de congélateur à -20° permettant de conserver du sanitaire. Quoi qu’il en soit, les deux doses à administrer pour chaque personne devront l’être avec le même vaccin. Il est pour l’heure question d’un premier envoi d’un millier de doses comme en Guyane. Mais tout cela reste encore en discussions, nous en demandons plus. Il est évident qu’avec 6 personnes hospitalisées en médecine et aucune en réanimation, nous ne sommes pas prioritaires par rapport à certains départements où les hôpitaux arrivent à saturation.

270 000 personnes à vacciner

FMM: Qui sera vacciné en priorité ?

DV : Avec les professionnels du secteur libéral, le CHM, les CCAS, et tous les acteurs de terrain, nous sommes en train de dresser une liste des personnes à vacciner en priorité. Il y aura les personnels soignants de plus de 50 ans du secteur public comme privé. Les personnels plus jeunes mais porteurs de comorbidités seront également vaccinés lors de la première vague. Il y aura également les personnes âgés et les personnes fragiles au sein de la population.

Bien évidemment, un patient, quel que soit son âge, porteur du VIH et ayant des problèmes d’immunité sera vacciné avant un adolescent de 17 ans en pleine forme. Les soignants du CHM seront vaccinés au sein de l’hôpital. Pour tous les autres, nous allons ouvrir un premier centre de vaccination sans doute à la MJC de Mgombani. Deux autres ouvriront très rapidement, un au sud, l’autre au Nord où nous manquons cruellement de médecins. Nous y travaillons.

FMM: La stratégie de vaccination pourrait-elle évoluer avec les variants ? On pense notamment à ces hypothèses faisant état d’une mutation qui toucherait davantage les plus jeunes?

DV : Il n’existe pas de données qui indiquent que les plus jeunes sont davantage touchés. Souvenons-nous qu’en mars on nous a dit de fermer les écoles car les jeunes étaient plus contagieux. La science travaille, les certitudes évoluent quasi quotiennement. Pendant ce temps, nous devons garder la tête froide. Ma conviction c’est que ce sont vraiment les gestes barrières qui vont nous protéger. Nous avons 270 000 personnes à vacciner à Mayotte, peut-être même beaucoup plus.

Dominique Voynet, de l’importance de se protéger

Si nous arrivons à vacciner 5000 personnes par jour comme à La Réunion, ce qui constituerait un exploit au regard de la logistique et du personnel que cela nécessite, nous aurons 20 000 vaccinés par mois hors rappels. Il faut donc compter un an et demi pour vacciner toute la population mahoraise. Pour freiner le virus, nous devons vacciner en priorité ceux qui sont le plus au contact des malades et les plus fragiles. En parallèle, il faut limiter les déplacements et insister sur l’importance de se protéger et de protéger ses proches.

FMM: Cette campagne de vaccination ne risque-t-elle pas de faire de l’ombre aux autres campagne de vaccination qui ont cours chaque année à Mayotte?

DV : Le covid n’arrange rien mais ce ne sont pas les mêmes équipes qui vaccinent les nouveaux nés dans le cas des vaccins obligatoires. Ce sont les PMI qui s’en charge. Le problème se pose davantage pour la grippe. Sans doute grâce aux gestes barrières, nous avons peu de cas de grippe et de broncchiolite. Nous avons néanmoins posé la question au centre de vaccination à Paris s’il était possible de faire les vaccins grippe et covid en même temps. Nous n’avons pas obtenu de réponse à date. »

Propos recueillis par Pierre Bellusci pour le France Mayotte matin du mardi 12 janvier 2021.

Articles associés